L’explication initiale du Bouddha
D’après le bouddhisme primordial, la question « qui ou quoi s’échappe du samsara ? » ou des questions similaires sont vaines et fondées sur une conception erronée du soi. C’est pourquoi le Bouddha refusait de répondre à ce genre d’interrogations, comme le montrent le SN 12.12 et le SN 12.35. Cependant, le silence du Bouddha ne peut satisfaire la soif de compréhension de ceux qui cherchent des réponses.
La doctrine des deux vérités
Les érudits bouddhistes ultérieurs ont alors développé le concept des « deux vérités » : la vérité conventionnelle (sammuti sacca) et la vérité ultime (paramattha sacca). Selon la première, il existe bien conventionnellement des individus qui accomplishissent des actions. Mais en vérité ultime, observée par l’éveillé, l’individu n’est qu’un agrégat de constituants (pancakkandha) en interaction, sans consistance propre. De même, la conscience ne fait que s’appuyer sur d’autres facteurs mentaux.
L’interdépendance illustre l’anâtman
À l’image d’un char dont les roues et la caisse s’influencent mutuellement, les agrégats s’conditionnent réciproquement sans qu’aucun ne puisse exister seul. Cette interdépendance implique l’absence de substance propre, ou « anâtman ». Conventionnellement, des êtres comme le Bouddha ou ses disciples s’échappent du samsara en atteignant le nibbâna. Mais absolument, personne ne se libère, seuls les agrégats s’éteignent avec la disparition de la soif, de la haine et de l’égarement.
La libération selon le Zen
Pour le zen, le nibbâna est déjà présent. Samsara et nibbâna ne font qu’un pour l’éveillé, car il transcende la dualité sans quitter le monde. Ainsi, Linji dissuadait ses disciples de chercher la délivrance hors du monde, les invitant à vivre simplement. L’éveillé ne s’échappe pas du samsara mais y retourne, ordinaire parmi les ordinaires. « L’illumination et l’égarement n’ont jamais existé » disait Bankei. Personne donc ne s’évade du samsara, et l’éveillé n’est plus « éveillé ».
La reconnaissance de la non-dualité
En réalité, le samsara ne prend jamais fin. Seule compte la reconnaissance que l’on n’y a jamais été. Car le soi dualiste désire maîtriser la vie et la mort, considérant l’une comme bonne et l’autre comme mauvaise. Or la naissance est la mort, et la mort la naissance. Il n’y a qu’une seule vie qui se manifeste sous diverses formes, éternelle dans sa variété infinie. L’éveillé goûte donc la liberté en connaissant cette réalité non-duelle.
L’enseignement de la compassion
Le Bouddha exhortait à dépasser toute illusion d’un soi substantialiste et à cultiver la compassion envers tous les êtres. En effet, la souffrance naît de l’ignorance de l’interdépendance qui lie l’ensemble des phénomènes dans cette existence. Percevoir la vacuité des êtres n’autorise nullement l’indifférence à leur endroit. Bien au contraire, la sagesse du vide renforce l’altruisme et le désir de délivrer autrui de la soif d’existence. Car dans le fond, il n’y a qu’un seul être, indifférencié.
La libération selon les terres pures
Certaines écoles comme celle de la Terre Pure enseignent qu’il est possible d’atteindre le nirvana immédiat en invoquant Amida Bouddha par la foi et les vœux. Ce qui importe alors n’est plus la méditation sur le non-soi mais la dévotion envers le bouddha de l’Infinie Lumière, symbole de la bonté absolue. Placés sous sa protection bienveillante, les croyants sont assurés d’être sauvés au moment de leur mort et guidés vers la Terre de Béatitude.
L’héritage du bouddhisme aujourd’hui
Après 25 siècles, le bouddhisme continue d’apporter réconfort et sagesse à des millions de fidèles. Ses enseignements sur l’impermanence, l’interdépendance et la vacuité des phénomènes gardent toute leur pertinence face aux angoisses modernes. Libéré des dogmes et des clivages entre écoles, l’essentiel demeure de cultiver l’éveil par la compassion, en découvrant chaque jour un peu plus la paix intime au cœur du changement universel. Car comme le disait le Bouddha, seul l’esprit apaisé peut connaître la Vérité ultime qui délivre de la souffrance.